Avec son rapport sur la place de l’intelligence artificielle dans notre société, Cédric Villani dessine les contours d’une mutation en devenir qui, pourtant, agite déjà certains secteurs depuis un moment. Ces derniers se voient en effet, depuis quelques années, adresser de nouvelles problématiques liées à l’automatisation de leur activité, l’arrivée de l’intelligence artificielle ou la robotisation de certaines tâches. Le secteur hôtelier en est aujourd'hui un des plus affectés. Pour preuve, en avril 2017, Sébastion Bazin, CEO d’AccorHotels, nomme Maud Bailly chef de la stratégie digitale du groupe hôtelier. Aussi, l’importance croissante des outils digitaux dans un secteur pourtant traditionnel est affirmée et pousse d’ailleurs Sébastien Bazin à intégrer ce nouveau poste au sein du Comité Exécutif du groupe. Ce changement augure-t-il pour autant de l’automatisation future du métier d’hôtelier ? Nos conceptions des notions d’accueil, d’écoute ou d’empathie, plus qu’essentielle dans les métiers de l’hôtellerie, seraient-elles mises à mal par ce que d’aucun nomme la quatrième révolution industrielle ?
Aujourd’hui, nombres d’outils digitaux ouvrent une nouvelle dimension quant à la personnalisation des séjours clients. Les nouvelles technologies semblent alors être un moyen d’alléger les missions administratives présentes dans les hôtels, afin de permettre aux employés de davantage se concentrer sur l’aspect humain de leur métier d’hôtelier : renseigner les nouveaux clients à leur arrivée, échanger sur leurs envies et être à l’écoute de leurs préoccupations. Les nouvelles technologies ne semblent donc pas être perçues comme des menaces pour les métiers actuels. En effet, comme le décrit Cédric Villani dans son rapport publié en mars 2018, la société se dirige au-devant « d’une transformation d’ampleur […] de la distribution entre le travail humain et le travail de la machine ».
Pourtant cette tendance n’est pas nouvelle et se fait sentir dans une majorité d’hôtels qui ont déjà vu avec inquiétude l’arrivée des OTAs (Online Travel Agencies) durant la dernière décennie. En effet, depuis quelques années maintenant, de grandes marques tentent d’incorporer l’intelligence artificielle dans leur chaîne de valeur. AccorHotels a ainsi mis en place un serveur vocal de réservation nommé SARA qui permet aux clients de réserver un séjour dans un des hôtels du groupe de la marque Etap Hotel et HotelF1 via une plateforme usant de l’intelligence artificielle. Les clients des deux chaînes du groupe hôtelier français, peuvent ainsi réserver leur chambre sans avoir un employé qui répond à leur appel. Néanmoins, pour les plus technophobes d’entre eux, la possibilité d’appeler l’accueil de l’hôtel pour effectuer sa réservation reste toujours présente, pourvu que les employés ne soient pas occupés par d’autres tâches. Autre exemple, la start-up The Colossal Factory a mis en service un chatbot spécialisé pour l’hôtellerie: capable de répondre à certaines demandes clients, quel que soit le canal de communication utilisé par ledit client. Aussi, les hôteliers n’ont plus besoin de rassembler l’information provenant de différentes messageries directes, et même d’y répondre : le chatbot s’en charge pour eux. Que cela soit via WeChat, Facebook Messenger ou Viber, le bot centralise l’information et l'utilise pour améliorer l'expérience client. En se fondant sur une base de données qui regroupe plus de 15 000 conversations client-hôtelier, cette technologie est alors capable de répondre aux demandes clients de manière totalement autonome. Libérés des tâches administratives contraignantes, les concierges et autres personnels d’accueil des hôtels, souvent très sollicités, peuvent alors consacrer davantage de temps à leur clientèle. La tendance se trouve donc être à la complémentarité entre employés et technologie.
Cependant, à voir toutes ces nouvelles start-ups qui empiètent sur la chaîne de valeur des hôtels, ces derniers, voyant leur bénéfice se réduire, ne se verront-ils pas obligés de remplacer leurs employés par des solutions technologiques bien moins coûteuses ? Allons-nous alors assister à une automatisation complète du métier ?
En tentant de découper l’activité du métier d’hôtelier en sept tâches qui s’enchaînent de manière chronologique, il semble, en effet, que de nombreuses start-ups investissent le champ de la relation client, autrefois l’apanage des hôteliers.
1. Prendre la réservation
2. Répondre à des demandes clients
3. Préparer la chambre
4. Accueillir les personnes à l’hôtel
5. Faire le « check-in »
6. Répondre à des demandes clients
7. Faire le « check-out » et recueillir le retour client.
Avec Hello Hipmunk qui vous permet de planifier toutes les activités de votre séjour et de même vous en suggérer selon de nouvelles vos préférences, que restera-t-il du rôle de conseil que peuvent avoir les concierges des grands palaces parisiens ? Les questions liées à la digitalisation des entreprises traditionnelles, et donc a fortiori des hôtels, sont d’autant plus cruciales qu’il est prévu que plus de 100 milliards de dollars de valeur ajoutée entament une transition en provenance des acteurs traditionnels vers des acteurs nouveaux sur le marché. La problématique semble ainsi intéressante tant elle apparaît directement liée à la rapidité avec laquelle les hôtels vont automatiser certaines tâches. Pour preuve, l’étude menée en 2017 par le World Economic Forum en collaboration avec Accenture nous rappelle combien l’arrivée des technologies « intelligentes » se positionnera comme une clé d’entrée pour la réduction des coûts. De là à remplacer un service humain, il y a peut-être un pas que la clientèle n’a pas encore franchit.
Un virage technologique amorcé trop tôt ?
En effet, l’automatisation de toute les tâches et le remplacement des employés ne sera acté que lorsque les clients plébisciteront ce genre de services. En 2015, OkkoHotels, le groupe créé par Olivier Devys et Paul Dubrule, a proposé à ses clients la possibilité de faire un « check-in » complétement automatisé. Les clients, après avoir réservé leur séjour, recevaient ainsi, peu de temps avant leur arrivée, le numéro et la clé numérique de leur chambre sur leur téléphone portable. Or, le groupe c’est aperçu que peu de clients sollicitait ce type de "checkin" en lieu et place du "check-in traditionnel" qui les amenait à rencontrer un hôtelier à l’accueil de l’hôtel dans lequel ils allaient séjourner. Aussi, certains segments du marché hôtelier ne seront peut-être que partiellement ou jamais affecté par l’automatisation de certains métiers car les clients continuent de préfèrer le contact humain à la facilité offerte par la technologie. A l’inverse, certains segments où la clientèle fait davantage attention au prix du service délivré plutôt qu’à l’accueil se verront peut-être davantage affectés par l'automatisation de certaines tâches, propice à la réduction des coûts.
L’hôtellerie de luxe : seul segment qui échappera à l’automatisation complète du métier ?
A l’avenir, avec des robots et une intelligence artificielle capable de réduire les coûts de certaines tâches, l’hôtellerie bas de gamme semble destinée à subir une automatisation bien plus rapide que les autres segments du marché -bien que, rappelons-le, l’automatisation et l’entrée de l’IA dans nos secteurs d’activité n’est pas un processus linéaire et que cela dépendra fortement de l’évolution des mœurs mais aussi de la législation. Aussi effrayant que cela puisse paraître, l’hôtellerie de luxe pourrait alors devenir le seul secteur hôtelier où les relations humaines seraient toujours au centre du service rendu. En effet, si la clientèle de ce segment se plaît à choisir de tels hôtels, ce n’est pas seulement pour le confort procuré par une chambre haut de gamme, mais aussi pour l’attention que porte les employés au service délivré, et au client qui se sent alors privilégié.
Dès lors, ce qui différencie aujourd'hui les robots de l’homme, c’est-à-dire leur incapacité à nous, client, faire sentir important, à nous faire sentir écouté, devient un facteur discriminant pour leur entrée dans l’hôtellerie de luxe. Si le service humain est apprécié, c’est pour sa capacité à user de l’empathie et à faire que le client se sent écouté., apprécié et reconnus. Ainsi, guidés par les aspirations de sa clientèle, les hôtels de luxe garderont ce qui fait leur charme : car, comme l'explique si bien Antoine de Saint-Exupéry, "en définitive, il n'y a qu'un luxe véritable et c'est celui des relations humaines".
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Apprenez et décidez.
BIBLIOGRAPHIE
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